Domicile de Fletcher McCaere

Ce fut McCaere Senior qui répondit à l’intervention de Fletcher sur les incendies en Arizona.

- C’est sûr que c’est pas avec le climat qu’y a ici qu’on risque des incendies. A Seattle, les gens ont déjà du mal à s’allumer une cigarette…

Lisa ne réagit pas spécialement au caractère macho de la question de Fletcher. Elle regarda rapidement sa montre et réalisa qu’il était temps de retirer ce qu’elle avait mis sur le feu. Elle se leva, marcha rapidement vers la cuisine et revint vers la salle à manger avec un plat entre les mains qu’elle présenta avec fierté.

- Poulet au chocolat.

C’était une découverte pour les parents McCaere, mais une des spécialités de Lisa et un héritage de sa culture mexicaine. Loin d’être sucré, ce plat raffiné était assez amer et épicé.

- Vous pouvez passer à table.

Claire descendit en premier et Nigel suivit juste après. Bien qu'ils aient été fascinés par leurs nouvelles chambres, aucun des deux enfants ne se seraient sentis de contrarier l'autorité du père de famille, surtout en présence de du grand-père.

A table, les parents de Fletcher découvrirent avec une certaine appréhension ce que leur avait préparé leur future belle fille, mais les papiles gustatives des McCaere s'adaptèrent vite. Les discussions de table commencèrent vite, initiées par le père du policier.

- Alors comment vont les choses au SPD ? Il parait que le capitaine Connor est enceinte ?

Lisa en profita pour glisser une question qui lui brûlait les lèvres.

- On dit que le père est un de tes collègues. Un gamin qu'elle aurait pris sous son aile. C'est vrai ? Tu le connais ?

La mère de Fletcher parut amusée et surprise de voir Lia se comporter en pipelette.

- Ma future belle-fille lirait-elle le Scandal ?

Prise au dépourvu, Lisa détourna le regard et donna une explication que son policier de fiancé repéra immédiatement comme un mensonge.

- On en a parlé au boulot...

Impulsive, Lisa commença d'abord à tenter de se justifier avec plus de ferveur, mais elle ne tarda pas à comprendre que son fiancé ne faisait ça que pour la taquiner et dévia la conversation sur un autre sujet.

- Claire, tu as eu les résultats de tes examens ?

En cette fin d'année scolaire, les enfants étaient passés par le terrible rituel qui devait ponctuer leurs étés pour au moins les dix prochaines années. Lisa tentait une nouvelle fois de nouer un lien plus profond avec la fille de Fletcher et avait posé la question de façon presque anecdotique, comme s'il était forcément acquis que la jeune fille réussirait brillamment. Cette dernière répondit sur un ton neutre, sans développer la conversation plus en avant.

- Oui... J'ai réussi.

Lisa se força à sourire pour camoufler la déception de son échec. Elle espérait cependant que le fait qu'elles s'apprêtaient à vivre sous le même toit lui permettrait de faire davantage de progrès.

- Félicitations.

[HRP : Mais non, c'est pas long que ça ]

Claire s'ouvrit un peu mais pas beaucoup plus. Elle donna un peu plus de détails pour faire plaisir à son père plus que par réelle envie de partager ce qu'elle avait vécu.

- J'ai du bosser un peu plus en math. Mrs Feeny est vraiment vache, c'est comme si elle pensait qu'on a que son cours à étudier. Et elle a donné des problèmes qui n'étaient même pas dans le cours.

A la fin de sa première année à la middle school, équivalent américain du collège français, Claire comme beaucoup d'enfants de son âge était en train de basculer presque prématurément dans l'adolescence et construisait sa personnalité en choisissant elle-même ce qu'elle souhaitait divulguer sur sa vie. La période n'était sans doute pas idéale pour que Lisa puisse se rapprocher de sa future belle-fille, mais personne n'y pouvait rien.

La remarque de Fletcher sur la cuisine de Lisa eut l'effet escompté. La future femme du policier affichait un large sourire, comme si elle était, pour la première fois, face à l'image du bonheur familial dont elle avait rêvé depuis son enfance.

La maîtresse de maison laissa tout le monde digérer le plat principal avant d'amener le dessert. Elle mit devant chacun des convives un sundae aux fraises. Nigel fixait avec des yeux ronds la grande coupe en verre remplie de glace à la vanille, de fraises et de coulis du même fruit. Bien éduqué, l'enfant attendait le feu vert de ses aînés pour attaquer le dessert qui n'allait certainement pas faire long feu.

La mère de Fletcher relança une conversation en plantant sa cuillère dans la crème glacée.

- Où en sont les préparatifs du mariage ?

Non seulement Mrs McCaere acceptait sa future belle fille, mais on pouvait voir dans son regard qu'elle était heureuse de voir son fils reconstruire une cellule familiale, qu'elle n'avait pas toujours cru que ce serait possible et que c'était bénéfique pour les enfants.

La mère de Fletcher se contenta d'acquiescer et termina son dessert. Bien sûr, personne autour de la table ne parvint à terminer avant Nigel qui avait engouffré son sundae. Claire n'arriva pas au bout de son dessert. Elle avait pourtant commencé avec un enthousiasme proche de celui de son frère, mais sa frénésie gourmande s'était arrêtée au moment où sa grand-mère avait évoqué le mariage.

Les parents de Fletcher ne parlèrent plus beaucoup. Il était clair qu'ils étaient fatigués et qu'ils n'allaient plus rester très longtemps. Mais le silence fut de courte durée. Claire le rompit en tentant de rester dans le ton de la conversation, mais elle ne parvenait pas à cacher une certaine anxiété.

- C'est quand, le mariage ?

Lisa regarda Fletcher d'un air inquiet, comme si elle était face à une bombe prête à exploser et qu'elle n'avait aucune idée de la façon de la désamorcer.

Claire se força à sourire, mais avant qu'une conversation puisse reprendre, elle fondit en sanglots et quitta la table. Elle se mit à courir en direction de l'étage et ne tarda pas à se réfugier dans sa nouvelle chambre.

A table, les convives étaient tous en proie à un silence gêné et semblaient attendre que Fletcher prenne la situation en mains. Au bout de quelques secondes, la grand-mère de Claire tenta de rassurer son fils dont l'expression trahissait une forte inquiétude.

- Elle finira par l'accepter, mais il faut lui laisser du temps.

Le regard empressant que Mrs McCaere donna ensuite à son fils lui indiqua qu'il serait malgré tout de bon ton qu'il fasse quelque chose.

[HRP : Oui, pas de prob.]

Claire sanglotait et avait des difficultés à contrôler suffisamment sa respiration pour répondre à son père. Ce dernier dut attendre quelques secondes avant avant d'obtenir une phrase cohérente.

- Maman me manque.

Il n'y avait ni reproche, ni colère dans sa voix. Juste de la tristesse d'une enfant désemparée devant la mort de sa mère et qui constatait malgré elle que la vie devait continuer.

Claire buvait les paroles de son père. Elle avait vraiment besoin de ce réconfort et ses larmes coulaient de moins en moins. Quand Fletcher eut terminé de parler, elle parvint à articuler quelque chose qui, elle l’espérait, rassurerait au moins un peu le père de famille.

- Lisa est… cool.

Comme Fletcher l’avait pressenti pendant tout ce temps, Claire n’avait pas de ressentiment particulier envers sa future belle-mère. Elle avait simplement besoin de savoir qu’elle n’était pas la seule à toujours penser à sa maman pour pouvoir poursuivre son deuil de façon aussi sereine que possible.

Avant de refondre en larmes, prise par l’émotion du moment plus que par tristesse, Claire tomba dans les bras de son père.

Claire parvint finalement à sécher ses larmes. Mais la question de son père ne provoqua pas un enthousiasme ou un réconfort particulier.

- On n'en parle pas beaucoup. Je crois qu'il y pense, mais ça lui fait pas la même chose. Il était plus petit.

La jeune fille soupira en fixant la porte de sa chambre. Le défi à présent allait être de rejoindre le reste de la famille comme si de rien n'était. Comme pour éviter d'y aller tout de suite, ou pour prolonger cet échange avec son père, Claire reprit la conversation sur sa mère.

- Tu crois qu'il y a quelque chose... après... ?

La vie après la mort était toujours un sujet difficile, mais vu les circonstances, c'était une question vraiment délicate.

La réponse de Fletcher eut un résultat agréablement inattendu. Il arracha à Claire un sourire. Pas un sourire forcé, ni un sourire triste, mais un vrai sourire sincère, celui d’une enfant qui a la vie devant elle et qui s’apprête à en profiter. Cet échange familial avait été nécessaire pour elle.

Claire se leva, déterminée, et se dirigea vers la porte de sa chambre. Il était temps de rejoindre le reste de la famille.

En bas la discussion avait repris comme si de rien n’était. Tout le monde avait confiance en la capacité de Fletcher de régler la situation. Après que Nigel ait en vain supplié Lisa de lui redonner une nouvelle fois du dessert, il était en train de lui proposer sa montre en échange.

Alors que Claire reprenait sa place à table, Nigel se mit immédiatement sur la défensive.

- C'est pas ma faute ! C'est Lisa qui refuse de me nourrir. Je suis obligé de marchander mes biens les plus précieux pour survivre.

L'assemblée ne pouvait qu'admirer cette interprétation d'Oliver Twist, le personnage du roman de Dickens que Nigel avait étudié à l'école juste avant les vacances. Lisa ne se laissa pas faire et se montra ferme sans pour autant abandonner sa bonne humeur habituelle.

- Tu en as déjà repris deux fois. Tu vas être malade.

Claire lança un commentaire typique de grande soeur, histoire de montrer qu'elle était revenue.

- De toute façon, t'en as pas besoin de ta montre. Tu sais pas lire l'heure.

Sans un regard pour Claire, le petit garçon répondit de façon mordante.

- Même pas vrai.

Ensuite, il étira ses bras sur la table en direction du pot de crème glacée bien qu'il ait été hors de portée et prit volontairement une voix un peu plus tremblante.

- Je t'en supplie, papa. J'ai des vertiges, j'ai besoin de sucre.

Le fils de Fletcher venait de montrer qu'il avait de sacrés talents de comédien en plus de son dont pour les affaires.

Nigel fut surpris de la suggestion de son père. Celle-là, il ne l’avait pas vue venir. Il regarda la montre qu’il avait toujours en main et réfléchit pendant plusieurs longues secondes pour déduire l’heure qu’il devait être en fonction du positionnement des aiguilles. Il fallait croire que Claire n’avait pas totalement tort. Réalisant qu’il était très loin d’être l’heure d’aller au lit, le petit garçon se redressa.

- Tiens, ça va mieux, comme ça, d’un coup. C’est marrant ça.

Mais Nigel n’avait pas dit son dernier mot. Plus déterminé que jamais, il se remit à marchander.

- Bon allez. On dit deux boules de glace et on en parle plus. Je peux pas faire moins.

Devant l’air dubitatif de Lisa, Nigel leva un sourcil et réduisit la mise.

- Une boule ?