Appartement de Sean Adams

Welcome to 223 Pine Street

A cette adresse se trouve coincé entre deux grands immeubles une bâtisse assez ancienne, haute de trois étages, aménagée, au nombre de boite aux lettres dans l'entrée, en huit appartements. La façade en brique tranche avec le béton adjacent, et rappelle l'architecture des coins les plus anciens de Harlem, sans l'échelle de secours donnant sur une ruelle sombre et malfamée, ici inexistante. Le concierge a de son bureau une vue appréciable et appréciée de l'entrée et du trottoir, lui permettant d'assister à la vie du voisinage et de commérer ainsi comme il est de son devoir.

C'est ainsi que Sean Adams, jeune officier de police, avait vu pour la première fois son futur habitat. Une pancarte "à louer" accrochée à une fenêtre du deuxième étage avait retenu son attention alors qu'il était en patrouille dans le quartier, travaillant depuis seulement quelques jours. Il pris ensuite, durant son temps libre, plus de renseignement, contactant le propriétaire. L'affaire arrangée, il put quitter le motel sur Grand Avenue dans lequel il logeait depuis son arrivée et avoir enfin un chez-soi agréable et, surtout, calme.

Ce soir là, il était aux alentours de vingt-trois heure trente, après son service, Sean arriva, à pied comme à son habitude, au porche du bâtiment. Il composa, à l'abris des regards indiscrets, le code secret de l'entrée. Un petit grésillement lui indiqua que la porte était ouverte et il la poussa doucement. Il monta à grandes enjambées les marches qui le séparaient de chez lui. Les escaliers, aussi anciens que l'immeuble, n'avaient pas été refaits en même temps que la peinture des murs, bien plus récente. Il en résultait un intense grincement de chacune des planches, provoquant souvent les grognements de voisins un peu bougon. Sur le pas de sa porte, Sean fouilla dans ses poches pour retrouver ses clés. Il retrouvra son trousseau et ouvrit la serrure.

L'intérieur paraissait assez neuf, en comparaison avec l'aspect extérieur du bâtiment. Des murs couleur crème, un éclairage léger, des fenêtres larges qui, de jour, devaient ouvrir l'appartement à une pleine lumière du soleil, réchauffante et réconfortante. L'orientation "plein sud" aidait à celà... Une pièce principale cotoyait une cuisine du type, selon les Européens, "à l'américaine", ainsi qu'une chambre et une salle de bain. Sean entra, posa sa veste sur le porte manteau et s'approcha de son buffet sur lequel était posé une petite chaîne hifi. D'une pression sur un bouton s'éleva un air rythmé, typé des années cinquante et du jazz noir-américain. Coltrane, Armstrong, Davis, tout les cuivres de légende composaient sa collection de disques, vinyls et CD.

Sur un air de What a Wonderful World en duo avec Ella Fitzgerald, le grand Louis berça la bouteille de martini jusqu'au verre que Sean avait pris dans sa cuisine. L'immaculée transparence du liquide alcoolisé aurait pu le faire passer pour de l'eau, si ce n'était la fluidité légèrement inférieure et la forte odeur caractéristique de la boisson. Ainsi était son habitude. Oh ce n'était rien, se disait-il tout les soirs. Juste quelques gouttes. Pour mieux dormir. Ça ne ferais de mal à personne, juste quelques gouttes. A part à son foie, peut être, dans quelques dizaines d'années. Quelques gouttes, quelques années. Ne mangeant pas plus ce soir, sa pause dîner lui avait permis de se nourrir convenablement, il se dirigea vers sa chambre, se déshabilla et glissa sous ses draps, désespérément seul.

Et, toujours seul dans son lit, quelques gouttes dans l'estomac, de la musique dans la tête, il s'endormit.

La chaîne avait finit de déverser son flot de notes et de voix rauque bien avant que les premières lueurs de l'aube ne réveillent Sean. Comme souvent il n'avait pas fermé le volet roulant protégeant la grande fenêtre de sa chambre. Il jura en voyant l'heure. Il n'était que sept heure, et il aurait bien aimé dormir au moins trois heure de plus. Aujourd'hui, il était, comme la veille, de service de soirée, de quinze à vingt-trois heure. Sachant qu'il ne saurait se rendormir, il se leva, et sa rassit immédiatement, pris de vertiges. Des percussions tambourinaient dans sa tête comme la grosse caisse d'une fanfare. Son mal de tête était-il dû à l'alcool de la veille ? Au manque de sommeil ? Au mélange des deux ? Il frissonna, il faisait froid. N'avait-il pas froid, plutôt ? Doucement, il se leva à nouveau. Ça allait mieux. Il fit quelque pas vers la porte de la salle de bain, alluma la lumière qui l'éblouit et ne fit qu'empirer son mal aux cheveux. La glace lui renvoya une tête des mauvais jour, de celle qui mélange gueule de bois et insomnie, avec une pointe de désespoir solitaire.

Un solide petit déjeuner accompagné d'un cachet d'aspirine le requinqua quelque peu. Il n'eût pas le courage de faire son jogging du matin, préférant rester sur son canapé à lire un magazine, laissant échapper de sa fenêtre ouverte un air de Miles Davis. Onze heure arriva, et il prit la décision de faire un peu de ménage, de rangement. Après son déjeuner, il se reposa, allongé sur le lit, sans vraiment dormir. Une heure avant sa prise de service, il se leva et se prépara. Il prit la même veste que la veille, ajusta sa chemise, lassa ses chaussures. Attrapant les clés au passage, il sortit de son appartement. Au moment de descendre les escaliers il aperçut sa voisine sortir à son tour de chez elle. De son âge, elle était plutôt attirante, mais assez froide, et très peu bavarde. Il n'avait jamais rien tenté de plus qu'un "bonjour".

L'air frais et vif de la rue lui fit oublier ces idées. Le froid mordant avait envahi la ville quelques jours auparavant après un automne très doux. Sa veste était chaude mais couvrait peu le cou et il se dit qu'il allait devoir s'acheter un manteau plus adapté aux hivers de Seattle. Même le Queens était plus chaud... Sean aimait bien faire le petit kilomètre qui séparait le Central de son domicile à pied, ça lui permettait de se dégourdir les jambes et ainsi se préparer à toute course poursuite qui pourrait lui tomber dessus. Il ne lui fallut qu'un petit quart d'heure pour arriver...

Central, Espaces réservés au membres du Personnel

De longs mois plus tard...

Deux semaines que la bouteille de whisky n'avait pas versé son fluide mortel dans un verre à destination de la gorge de Sean Adams, inspecteur de police à Seattle. Le flacon à moitié vide restait à moitié plein, dans la vitrine d'une commode, le long du mur le plus court du salon de l'appartement. En revanche, la bouteille de gin était la troisième remplaçante de celle qui se tenait à cette même place quelques temps plus tôt. La dose diminuait, dira-t-on.

La musique de Duke Ellington s'était depuis longtemps envolée par les fenêtres du deuxième étage pour laisser la place au doux bercement alcoolisé des ronflements du locataire des lieux. A huit heure le lendemain matin, il devrait être devant le bureau du Capitaine Connor, au Central. De fait, il ne pourrait pas y être à l'heure, car à sept heures cinquante cinq, il ronflait encore comme un bébé, affalé dans son fauteuil en cuir. L'instinct, une horloge interne, ou peut être simplement un bruit dans la rue le firent sursauter et émerger de son profond sommeil. Il n'eût pas besoin de regarder l'heure pour savoir qu'il était en retard et préféra sauter directement sur le palier plutôt que de perdre le temps qu'il n'avait déjà plus en ablutions matinales.

Garée sur le trottoir l'attendait sa vieille Ford noire crasseuse et usée. Elle démarra cependant au quart de tour, un exploit pour ce tacot rouillant et roulant. Quelques avenues, rues, et boulevards plus tard, il laissa derrière lui la fumée noire sortie du pot d'échappement et entra dans le garage du Central de Seattle. Il n'avait que dix minutes de retard au final, ce qui n'était pas si mal compte tenu de son heure de réveil..

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